4. L’affaire « Marcellin Jacques. »
Le temps était ralenti et les choses que je voyais se modifiaient parfois, comme si la lumière jouait avec moi et faisait des mirages.
En marchant sur la grand-route, je me suis rappelé une phrase poétique d’Albert Einstein : « Je voulais chevaucher un rayon de lumière ! » C’était peut-être une chose possible ici… Je pensais à ce que je savais d’Einstein, c’est-à-dire pas grand-chose : La formule de base, E=mc2, qu’en vérité, je pouvais à peine définir. J’avais vu une émission sur ce génie, et je me souvenais particulièrement de ces expériences terribles avec des trains qui se croisaient ! Tous ces efforts pour démontrer que le temps est relatif, qu’il ne passe pas de la même façon pour tout le monde ! Le temps ne passe pas de la même façon selon qu’on rêve, qu’on est éveillé, qu’on somnole, qu’on est en plein effort ou qu’on fait l’amour ! Pourquoi est-ce que je pensais à ces trucs-là ? Peut-être parce que là où je me trouvais, je ne crois pas que je rêvais, et je n’étais pas totalement éveillé non plus. Ce n’était pas une crise de somnanbulisme et bien sûr, je connaissais l’expression de « voyage astral », mais jamais personne ne m’en avait dit davantage à ce sujet. Ah, comme je m’ennuyais, je n’aimais plus que les fleurs ! Ma nostalgie du soleil prenait sa source dans ces fleurs précieuses qui n’avaient pas refermé leurs corolles ! Cet année, certaines variétés comme les marguerites avaient fleuri tardivement. J’en ai cueilli une, puis deux, et j’ai tâché de les tenir dans une seule main, et paf, je les ai réduites en micro-cristaux !
J’avais longeais les haies des maisons, prêt à me cacher à tout instant si j’apercevais la police. Je commençais moi aussi à avoir peur. J’ai tourné par la route de Paliseul en espérant revoir Léo.
Je l’ai trouvé assis par terre, appuyé contre une bouche d’incendie, il avait des blessures au visage et respirait fort. J’ai tout de suite pensé qu’il s’était battu avec John et c’était bien ça ! Je l’ai aidé à se relever. Il m’a expliqué sa « querelle », et qu’il n’y avait pas eu de contacts physique entre lui et John, mais une lutte de l’esprit, « comme dans les mangas ! » a-t-il précisé. Quant aux plaies sur sa figure, c’était arrivé à la suite de l’explosion d’une fenêtre, lorsqu’il était en train de mâter John et la fille sexy dans le salon, « devant le feu ! »
- Tu n’imagines même pas ce qu’il peut faire avec cette fille, c’est insupportable !
J’ai dit à Léo de ne pas recommencer avec les histoires de John, mais il continuait :
- Je crois qu’il n’arrive pas à jouir, il est trop excité. C’est terrible !
Je ne voulais pas me fâcher, j’ai alors demandé à Léo s’il n’y avait rien d’autre à signaler, et son visage a changé d’expression. Il m’a dit, en passant du coq à l’âne :
- Si, j’ai vu trois enfants là-bas sur un sentier qui mène au parc, ils étaient habillés en orange des pieds à la tête. Ils ont dessiné un truc dans la terre, je n’ai pas eu le temps de parler avec eux. Ce n’est pas loin de la place verte, tu veux aller voir ?
Léo était redevenu jovial soudain. On aurait dit que cette gentille histoire d’enfants dessinant dans la terre lui reposait l’esprit. Il m’a emmené vers la place verte. Au numéro quatorze, chez Lucien Mars, la fumée qui se dégageait de la cheminée et partait droit au ciel m’a troublé un peu. Léo était anxieux, il m’a demandé : « Et Fred ? » Je lui ai raconté en résumé la manière dont Fred avait agit avec Fernanda, ce qu’il lui avait fait, comment on s’était retrouvé à la police à cause de lui.
- La police ?
J’ai dit à Léo de quelle façon Simon était venu nous aider, et puis que la police l’avait embarqué et était partie avec lui chez le fermier Marcellin Jacques.
- Marcellin Jacques ?
J’ai bien dû dire que Fred n’était pas parvenu à s’échapper de la cellule, par contre, je n’ai pas expliqué le déroulement exact de mon évasion, à cause de ce que m’avait dit la vieille dame. Léo s’est arrêté, il m’a pris par le bras et m’a conduit à l’entrée d’un sentier, entre deux propriétés. Il y avait un dessin dans la terre.
- Tu vois, c’est un symbole ! Tu as vu comme le cercle est parfaitement tracé…
- Oui.
- Ils sont intelligents ces enfants, ils ont dû utiliser un crayon avec de la ficelle, comme pour les cercles de blé en Angleterre !
Léo était ému et, selon son expression, le dessin lui parlait. J’ai dit que pour ma part je ne ressentais rien et j’ai ajouté que, quand même, le dessin était élaboré : Je serais incapable de me rappeler l’agencement exact des carrés, des triangles et des segments de droites compris dans le cercle. Léo était captivé tandis que moi, j’entendais au loin des cris de cochons ! Ça venait de la ferme de Marcellin Jacques.
- Tu entends, ai-je dit, ça vient de chez Marcellin Jacques.
- Ha ! Ce mec a déclaré à la police qu’il préférait coucher avec sa truie plutôt qu’avec sa femme !
On entendait clairement les cris en dehors de la ville. Moi, je voulais savoir ce qu’il advenait de Simon. Léo a bien voulu me suivre sur la grand-route. On est passé par le parc pour contourner la résidence de Lucien Mars, John et ses frasques !
- Léo, tu sais, quand je suis revenu de la colline avec Simon, au début, la première fois que nous nous sommes séparés ?
- Oui, je me souviens.
- On revenait vers Amnéville et Simon m’a dit qu’un homme dormait dans les champs, contre un piquet de clôture ! Moi, je n’ai pas bien vu, j’ai vu une forme, c’est tout. Mais voilà, maintenant je veux bien le croire, Simon a probablement vu Marcellin Jacques en train de dormir !
- Je ne comprends pas. J’aimerais que tu me dises : Combien de personnes se trouvaient en réalité sur la colline ?
- Non, ce n’est pas ça, ai-je fait en brouillant les bras, les gens que nous rencontrons maintenant n’étaient pas sur la colline. Fernanda, par exemple, elle était chez elle quand l’éclipse a commencé, dans son lit, en train de dormir… Et le fermier aussi dormait, c’est sa femme qui s’occupait de vendre des cocas hors de prix. Souviens-toi : On s’est arrêté devant la ferme au matin, puis on est repassé à pied et c’est là que Fred a fait du bruit en démolissant la porte d’une grange. Ça a dû réveiller le fermier, ou je ne sais pas, attirer son attention…
- Et la nana qui est avec John ?
- La fille, je n’en sais rien.
- Explique-moi, nous sommes tous en train de dormir ou quoi ?
Je ne pouvais plus rien dire à ce sujet. J’ai aperçu trois camionnettes de police derrière une rangée de voitures à l’abandon. J’ai dit à Léo qu’on devait à tout prix sortir Simon de là, qu’il n’était pas à sa place. Léo m’a répondu qu’il s’en foutait de Simon, il m’a posé des questions bêtes à propos de ce qui était en train de se tramer chez le fermier et qu’on ne voyait pas encore. J’ai insisté pour qu’il fasse attention, je lui ai dit que ce n’était pas un jeu, qu’on ne devait surtout pas se faire repérer, mais juste tâcher d’éloigner Simon de la police ! « Pourquoi Simon, on devrait aller libérer Fred plutôt. Tu ne connais même pas ce type ! »
On a emprunté le chemin rempli d’ornières qui passe à gauche de la ferme. Les camionnettes de police étaient garées à deux cents mètres de la ferme. Des flics couraient sur la route, d’autres étaient planqués dans les talus avec des caméras, des micros avec des viseurs et des téléobjectifs. J’ai aperçu Simon qui se trouvait sur la route au milieu des flics, avec à côté de lui Fernanda et l’inspecteur qui discutaient ensemble des ordres et de la marche à suivre ! Fernanda avait toujours ses lunettes brillantes. Je me suis étonné de pouvoir les entendre de si loin, de les capter comme s’ils étaient à côté de moi ! L’inspecteur a fait semblant d’utiliser le mégaphone et il a dit : « Rassemble tes porcs, Marcellin ! » Juste après, j’ai entendu le souffle rauque de Fernanda qui s’excitait. Les cris des cochons redoublaient et Léo souriait ! On était caché par une haie de lauriers, à l’abri de Fernanda. Le fermier Marcellin Jacques était là, il revenait d’une promenade dans les champs avec ses porcs. Il les a fait entrer dans un enclos. Les grandes stabulations à droite empêchaient les flics de voir ce qui se passait. En ce qui nous concerne moi et Léo, nous étions bien placés !
Le fermier a baissé son pantalon et s’est mis à caresser une truie. Il criait des mots, des vulgarités. Puis on ne l’a plus entendu, il s’est agenouillé derrière la pauvre bête et s’est activé. Le tableau était franchement pitoyable - je suis tenu par ma conscience de dissimuler des détails peu glorieux -. Après tout, ce n’était pas réel, c’était le rêve du fermier qui dormait quelque part ! Ce que je peux dire simplement, c’est qu’il n’y avait pas que des porcs dans l’enclos boueux, mais aussi quelques femmes ! Des femmes aux traits et aux allures impersonnelles créées par le fermier - ou reproduites par son esprit d’après les images de la télé, car j’ai cru reconnaître une actrice-vedette du petit écran ! - Je me méfiais : Ce que je voyais aurait pu être une « projection mentale collective », ou une chose proche, car franchement je ne connaissais rien de plus malin que le sexe pour s’infiltrer dans les esprits et à travers les murs par des moyens hautement diversifiés. On était loin de la pureté, de l’innocence, et le fermier véreux allait se casser le dos pour finir ! Léo ne disait plus rien, je crois que ce spectacle lui plaisait. J’ai aperçu trois policiers armés qui longeaient l’étable, ils étaient munis de fusils automatiques et de filets. Un autre, avec une caméra sur l’épaule, suivait derrière. Ils étaient près de l’enclos et le fermier a reçu une sommation. Aussitôt, il a couru comme un dératé en se rhabillant, il est passé par-dessus la barrière en bois en retombant de l’autre côté lourdement, et il s’est enfui vers le lointain. Trois flics se sont lancés à ses trousses ! Le flic qui filmait, après avoir fait un beau panoramique, s’est attardé sur l’intérieur de l’enclos. Ce que je pensais, c’est que les flics allaient disparaître une fois qu’ils seraient hors du champ de vision de Fernanda, mais non, car c’était devenu le rêve du fermier aussi, d’être pourchassé à cause de sa petite fête ! De même, ses porcs et ses femmes étaient restés dans l’enclos, pour le plaisir de Fernanda ! Les femmes ont été arrêtées et conduites dans un fourgon blindé. Bizarre. Je me suis mis à réfléchir.
J’étais capable de faire des distinctions parmi les êtres qui évoluaient sous l’éclipse : Il me semblait voir quatre types différents de personnages. C’était une sorte d’échelle de la conscience, je ne trouve pas les mots : D’abord, il y avait moi, mes amis et les scientifiques, nous nous trouvions en chair et en os sur la colline du Couvrant au moment du cataclysme. La colline était le centre des choses pour ainsi dire, et les trois cents mille personnes qui observaient l’éclipse dans la région n’avaient pas disparu : Cette foule était située au-delà des marécages, en dehors du cercle de la colline du Couvrant et donc on ne les voyait pas ! Ils n’étaient pas touchés comme nous, ils étaient pour la plupart bien éveillés : C’était le cas de Lucien Mars par exemple, qui avait déboulé à la dernière seconde, fusil au poing, pour flinguer son voleur après une course poursuite ! C’était aussi le cas de la population qui se trouvait dans la zone d’ombre de la lune. Je présumais que la région toute entière fut mystique dans un rayon de soixante kilomètres ! Les voitures abandonnées étaient à notre portée mais les gens étaient invisibles et nous n’avions sans doute pas le droit de nous en prendre à des gens sans défense, rendus immobiles ! Mes amis et moi-même étions dédoublés, des genres d’esprits vifs et tourmentés qui devaient bien de temps à autre traverser un touriste sans l’avoir vu ! Ne sachant pas s’il y avait un sens à cette expérience, ne sachant rien, je le répète, nous étions des maladroits ! Bref…
Une autre catégorie de personnages était les gens comme Fernanda ou l’infâme Marcellin Jacques, qui faisaient un songe sous l’éclipse, endormis par elle. Leurs esprits vagabondaient dans cette zone obscure, tandis qu’eux se trouvaient en réalité dans leur propriété respective, en chair et en os, dans le monde naturel que chacun côtoyait tous les jours ! Je comprenais à présent pourquoi Fernanda n’avait pas eu de réaction lors de notre première rencontre à son domicile : Elle aurait dû apprendre à se synchroniser – c’est le mot qui convient le mieux – sur notre vitesse et non le contraire, puisque nous avions mijoté notre coup et qu’elle avait été surprise ! C’est du domaine des rêves que de subir parfois des angoisses terribles ou même, des paralysies.
Surtout, je m’interrogeais sur une catégorie étrange de personnages qui semblait posséder une conscience individuelle : C’était les intervenants, comme la police, le conducteur du bus fantôme, la caissière esseulée du supermarché, les porcs et les femmes dans l’enclos, le chien modulable de Fernanda. Quelque chose, en ce qui concerne les rêveurs profonds tels que Fernanda et le fermier, dépassait la seule volonté et leur pouvoir de commander leurs rêves à leur guise – un rêve n’est-il pas légèrement conscient et fort inconscient ? - Ce qui leur arrivait ne dépendait pas que d’eux-mêmes ! Ma théorie est la suivante : Les « intervenants » autour de ces deux rêveurs représentaient une source d’énergie comme les autres personnages du décor, ils étaient parfaits sur le plan de la ressemblance, ils étaient bien solides et dégageaient même une émotion personnelle : Je pense qu’ils existaient vraiment, eux aussi, dans le quotidien, qu’ils avaient une identité. Après tout, ils étaient comme les autres en apparence dans cette dimension : Composés de particules élémentaires d’énergie et, peut-être, reliés par un « fil d’Ariane » à leur vrai corps quelque part, à des kilomètres, qui sait ? Par exemple, je regardais le commissaire Jean Joël, je le voyais diriger une opération de police un peu mesquine sous mes yeux : Je savais qu’il n’était pas entièrement là, au cœur de la débauche, mais plutôt qu’il devait être en faction dans les rues pleines de monde, un jour comme aujourd’hui ! Ou bien dans son jardin avec sa famille, en train de regarder l’éclipse ; dès lors, j’imaginais que là où le commissaire se trouvait réellement, il se sentait nerveux ou troublé, pour des raisons inexplicables et qui avaient lieu ici-même ! Je ne voyais pas l’énergie circuler comme certains affirment la voir, mais j’avais le fort sentiment que chaque participant dans cette histoire était à la fois unique et rejoignait, par une façon subtile, l’inconscient des deux affreux qui rêvaient ; l’inconscient a souvent le goût du collectif. Mes amis et moi ne subissions pas tout à fait les mêmes effets, nous étions en position de force je crois. Fernanda ne faisait pas de différence entre les types de consciences comme je le faisais, elle suivait son orgueil, vivait son obsession, elle se laissait aller dans son rêve. Le fermier, lui, n’avait pas que ça à foutre que de réfléchir ! C’était Neptune. En plus de ça, je réalisais que d’autres gens, rendus fatigués par l’éclipse, pouvaient être en train de faire un rêve à dix, vingt ou trente kilomètres d’ici. Comme si ça ne suffisait pas, j’avais l’intuition que d’autres personnes essayaient de trouver une place dans ce monde, cachées, encore invisibles ou inactives ! C’est surtout la nouvelle copine de John qui m’intriguait, car John était de ceux qui se trouvaient sur la colline et je me demandais comment il était parvenu à matérialiser la fille de la publicité pour les bottes : Que nous avait-il dit ? Qu’il l’avait emmenée à Beauraing, roulée sous le bras ! Oh, j’oubliais les enfants qu’avait vu Léo ! Encore une belle énigme. Je découvrais en réfléchissant plus loin à quel point notre situation était incroyable et privilégiée : Je comprenais l’opportunité qui s’offrait à moi et à mes amis de nous enrichir si nous le voulions, en déplaçant les bijoux dans des lieux sûrs par exemple ! Et dans les profondeurs de mon être, mon âme souhaitait découvrir un mystère plus grand que tout, tellement grand qu’il serait pur, unique. Plus cristallin et plus unique encore qu’un diamant à mille facettes !
L’inspecteur a dû envoyer tous ses éléments à la poursuite de Marcellin Jacques car deux fourgons ont démarré à toute vitesse et ont filé en direction de la colline. Bien des choses me dépassaient encore : J’ai repensé à la vieille dame au chignon, à ses conseils de prudence : Je ne souhaitais pas faire de mal ou accéder à un quelconque pouvoir, si j’étais revenu me frotter aux électrons de Fernanda et de ses troupes, c’était dans le seul but d’aider Simon à se sauver de là comme lui l’avait fait pour moi, et surtout à cause du sentiment que j’avais qu’il n’était pas à sa place !
Simon était assis dans la camionnette restante et semblait occupé à signer des papiers avec l’inspecteur et l’immonde Fernanda. Simon me donnait l’impression de souffrir, je le voyais nettement aux travers des vitres, comme si je n’étais plus myope tout à coup ! Léo m’a dit qu’on pourrait attirer l’attention de Fernanda et je lui ai répondu :
- C’est trop dangereux ! Elle peut nous envoyer des hélicoptères sur la gueule en moins de deux, est-ce que tu comprends ?
- Oui, a fait Léo en regardant autour de lui, tu as sûrement raison.
Je crois que Fernanda aimait ce monde désert, mais elle s’ennuyait avec Simon – qu’elle ne connaissait pas -, je la voyais soupirer d’énervement depuis que le fermier s’était enfui. C’est peut-être pour cette raison que Simon a été libéré : Deux flics l’ont conduit sur la route. Et pour la troisième fois, un coup de canon a retenti ! Léo a tourné la tête vers le château Renaud, mais moi je savais bien ce que c’était : C’était Lucien Mars qui venait à nouveau de tirer sur Simon ! Une troisième balle était en route et il n’a pas fallu longtemps pour qu’elle atteigne sa cible : Simon est tombé violemment en arrière, à même le macadam. Lucien Mars avait dû s’avancer dans le cimetière cette fois, et tirer à bout portant ! Je regardais au loin l’ébauche de la colline du Couvrant, c’est là-bas que les coups de feu étaient tirés et Simon, déjà touché dans le dos, venait sans doute de recevoir cette ultime balle en pleine tête ! Son double criait par terre devant nous : « Je n’entends plus rien ! Je vais mourir ! » Quelqu’un a dû appeler les secours au moyen de la télépathie parce qu’un instant après, un hélicoptère s’est approché dans le ciel, a fait un tour rapide au-dessus du périmètre et s’est posé sur la grand-route ! Deux hommes sont descendus et ils ont embarqué Simon sur une civière. L’inspecteur est venu demander quelque chose au pilote ; je ne l’aimais pas beaucoup cet inspecteur, il était trop entreprenant. Ensuite, l’hélicoptère a décollé et est reparti, je suppose, en direction de l’hôpital de Paliseul, à douze kilomètres ! Je n’avais plus rien à faire ici. Avec Léo, on a couru à la perpendiculaire de cette route de malheur ! On s’est retrouvé nez à nez avec une rivière magnifique : Nous n’avions pas encore vu de rivière, c’était comme un lent ruissellement de grains de sable et de cristaux lumineux, avec des petites dunes mouvantes. Je n’osais pas y plonger ma main. Léo était comme un enfant, il a enlevé ses chaussures et ses chaussettes. Je lui demandé s’il comptait vraiment tremper ses pieds dans cette matière, et il s’est rechaussé. « C’est de l’eau, après tout ! » Aucun de nous n’a mis même un doigt dans cette rivière ralentie par le temps. Il y avait des fleurs à proximité, finement éclairées par le flux de cristaux lumineux et les horizons rouges. Cet endroit était d’une beauté divine. Mais on ne pouvait pas rester ! On a marché le long de la berge jusqu’à un pont, qu’on a traversé.
Le temps était ralenti et les choses que je voyais se modifiaient parfois, comme si la lumière jouait avec moi et faisait des mirages.
En marchant sur la grand-route, je me suis rappelé une phrase poétique d’Albert Einstein : « Je voulais chevaucher un rayon de lumière ! » C’était peut-être une chose possible ici… Je pensais à ce que je savais d’Einstein, c’est-à-dire pas grand-chose : La formule de base, E=mc2, qu’en vérité, je pouvais à peine définir. J’avais vu une émission sur ce génie, et je me souvenais particulièrement de ces expériences terribles avec des trains qui se croisaient ! Tous ces efforts pour démontrer que le temps est relatif, qu’il ne passe pas de la même façon pour tout le monde ! Le temps ne passe pas de la même façon selon qu’on rêve, qu’on est éveillé, qu’on somnole, qu’on est en plein effort ou qu’on fait l’amour ! Pourquoi est-ce que je pensais à ces trucs-là ? Peut-être parce que là où je me trouvais, je ne crois pas que je rêvais, et je n’étais pas totalement éveillé non plus. Ce n’était pas une crise de somnanbulisme et bien sûr, je connaissais l’expression de « voyage astral », mais jamais personne ne m’en avait dit davantage à ce sujet. Ah, comme je m’ennuyais, je n’aimais plus que les fleurs ! Ma nostalgie du soleil prenait sa source dans ces fleurs précieuses qui n’avaient pas refermé leurs corolles ! Cet année, certaines variétés comme les marguerites avaient fleuri tardivement. J’en ai cueilli une, puis deux, et j’ai tâché de les tenir dans une seule main, et paf, je les ai réduites en micro-cristaux !
J’avais longeais les haies des maisons, prêt à me cacher à tout instant si j’apercevais la police. Je commençais moi aussi à avoir peur. J’ai tourné par la route de Paliseul en espérant revoir Léo.
Je l’ai trouvé assis par terre, appuyé contre une bouche d’incendie, il avait des blessures au visage et respirait fort. J’ai tout de suite pensé qu’il s’était battu avec John et c’était bien ça ! Je l’ai aidé à se relever. Il m’a expliqué sa « querelle », et qu’il n’y avait pas eu de contacts physique entre lui et John, mais une lutte de l’esprit, « comme dans les mangas ! » a-t-il précisé. Quant aux plaies sur sa figure, c’était arrivé à la suite de l’explosion d’une fenêtre, lorsqu’il était en train de mâter John et la fille sexy dans le salon, « devant le feu ! »
- Tu n’imagines même pas ce qu’il peut faire avec cette fille, c’est insupportable !
J’ai dit à Léo de ne pas recommencer avec les histoires de John, mais il continuait :
- Je crois qu’il n’arrive pas à jouir, il est trop excité. C’est terrible !
Je ne voulais pas me fâcher, j’ai alors demandé à Léo s’il n’y avait rien d’autre à signaler, et son visage a changé d’expression. Il m’a dit, en passant du coq à l’âne :
- Si, j’ai vu trois enfants là-bas sur un sentier qui mène au parc, ils étaient habillés en orange des pieds à la tête. Ils ont dessiné un truc dans la terre, je n’ai pas eu le temps de parler avec eux. Ce n’est pas loin de la place verte, tu veux aller voir ?
Léo était redevenu jovial soudain. On aurait dit que cette gentille histoire d’enfants dessinant dans la terre lui reposait l’esprit. Il m’a emmené vers la place verte. Au numéro quatorze, chez Lucien Mars, la fumée qui se dégageait de la cheminée et partait droit au ciel m’a troublé un peu. Léo était anxieux, il m’a demandé : « Et Fred ? » Je lui ai raconté en résumé la manière dont Fred avait agit avec Fernanda, ce qu’il lui avait fait, comment on s’était retrouvé à la police à cause de lui.
- La police ?
J’ai dit à Léo de quelle façon Simon était venu nous aider, et puis que la police l’avait embarqué et était partie avec lui chez le fermier Marcellin Jacques.
- Marcellin Jacques ?
J’ai bien dû dire que Fred n’était pas parvenu à s’échapper de la cellule, par contre, je n’ai pas expliqué le déroulement exact de mon évasion, à cause de ce que m’avait dit la vieille dame. Léo s’est arrêté, il m’a pris par le bras et m’a conduit à l’entrée d’un sentier, entre deux propriétés. Il y avait un dessin dans la terre.
- Tu vois, c’est un symbole ! Tu as vu comme le cercle est parfaitement tracé…
- Oui.
- Ils sont intelligents ces enfants, ils ont dû utiliser un crayon avec de la ficelle, comme pour les cercles de blé en Angleterre !
Léo était ému et, selon son expression, le dessin lui parlait. J’ai dit que pour ma part je ne ressentais rien et j’ai ajouté que, quand même, le dessin était élaboré : Je serais incapable de me rappeler l’agencement exact des carrés, des triangles et des segments de droites compris dans le cercle. Léo était captivé tandis que moi, j’entendais au loin des cris de cochons ! Ça venait de la ferme de Marcellin Jacques.
- Tu entends, ai-je dit, ça vient de chez Marcellin Jacques.
- Ha ! Ce mec a déclaré à la police qu’il préférait coucher avec sa truie plutôt qu’avec sa femme !
On entendait clairement les cris en dehors de la ville. Moi, je voulais savoir ce qu’il advenait de Simon. Léo a bien voulu me suivre sur la grand-route. On est passé par le parc pour contourner la résidence de Lucien Mars, John et ses frasques !
- Léo, tu sais, quand je suis revenu de la colline avec Simon, au début, la première fois que nous nous sommes séparés ?
- Oui, je me souviens.
- On revenait vers Amnéville et Simon m’a dit qu’un homme dormait dans les champs, contre un piquet de clôture ! Moi, je n’ai pas bien vu, j’ai vu une forme, c’est tout. Mais voilà, maintenant je veux bien le croire, Simon a probablement vu Marcellin Jacques en train de dormir !
- Je ne comprends pas. J’aimerais que tu me dises : Combien de personnes se trouvaient en réalité sur la colline ?
- Non, ce n’est pas ça, ai-je fait en brouillant les bras, les gens que nous rencontrons maintenant n’étaient pas sur la colline. Fernanda, par exemple, elle était chez elle quand l’éclipse a commencé, dans son lit, en train de dormir… Et le fermier aussi dormait, c’est sa femme qui s’occupait de vendre des cocas hors de prix. Souviens-toi : On s’est arrêté devant la ferme au matin, puis on est repassé à pied et c’est là que Fred a fait du bruit en démolissant la porte d’une grange. Ça a dû réveiller le fermier, ou je ne sais pas, attirer son attention…
- Et la nana qui est avec John ?
- La fille, je n’en sais rien.
- Explique-moi, nous sommes tous en train de dormir ou quoi ?
Je ne pouvais plus rien dire à ce sujet. J’ai aperçu trois camionnettes de police derrière une rangée de voitures à l’abandon. J’ai dit à Léo qu’on devait à tout prix sortir Simon de là, qu’il n’était pas à sa place. Léo m’a répondu qu’il s’en foutait de Simon, il m’a posé des questions bêtes à propos de ce qui était en train de se tramer chez le fermier et qu’on ne voyait pas encore. J’ai insisté pour qu’il fasse attention, je lui ai dit que ce n’était pas un jeu, qu’on ne devait surtout pas se faire repérer, mais juste tâcher d’éloigner Simon de la police ! « Pourquoi Simon, on devrait aller libérer Fred plutôt. Tu ne connais même pas ce type ! »
On a emprunté le chemin rempli d’ornières qui passe à gauche de la ferme. Les camionnettes de police étaient garées à deux cents mètres de la ferme. Des flics couraient sur la route, d’autres étaient planqués dans les talus avec des caméras, des micros avec des viseurs et des téléobjectifs. J’ai aperçu Simon qui se trouvait sur la route au milieu des flics, avec à côté de lui Fernanda et l’inspecteur qui discutaient ensemble des ordres et de la marche à suivre ! Fernanda avait toujours ses lunettes brillantes. Je me suis étonné de pouvoir les entendre de si loin, de les capter comme s’ils étaient à côté de moi ! L’inspecteur a fait semblant d’utiliser le mégaphone et il a dit : « Rassemble tes porcs, Marcellin ! » Juste après, j’ai entendu le souffle rauque de Fernanda qui s’excitait. Les cris des cochons redoublaient et Léo souriait ! On était caché par une haie de lauriers, à l’abri de Fernanda. Le fermier Marcellin Jacques était là, il revenait d’une promenade dans les champs avec ses porcs. Il les a fait entrer dans un enclos. Les grandes stabulations à droite empêchaient les flics de voir ce qui se passait. En ce qui nous concerne moi et Léo, nous étions bien placés !
Le fermier a baissé son pantalon et s’est mis à caresser une truie. Il criait des mots, des vulgarités. Puis on ne l’a plus entendu, il s’est agenouillé derrière la pauvre bête et s’est activé. Le tableau était franchement pitoyable - je suis tenu par ma conscience de dissimuler des détails peu glorieux -. Après tout, ce n’était pas réel, c’était le rêve du fermier qui dormait quelque part ! Ce que je peux dire simplement, c’est qu’il n’y avait pas que des porcs dans l’enclos boueux, mais aussi quelques femmes ! Des femmes aux traits et aux allures impersonnelles créées par le fermier - ou reproduites par son esprit d’après les images de la télé, car j’ai cru reconnaître une actrice-vedette du petit écran ! - Je me méfiais : Ce que je voyais aurait pu être une « projection mentale collective », ou une chose proche, car franchement je ne connaissais rien de plus malin que le sexe pour s’infiltrer dans les esprits et à travers les murs par des moyens hautement diversifiés. On était loin de la pureté, de l’innocence, et le fermier véreux allait se casser le dos pour finir ! Léo ne disait plus rien, je crois que ce spectacle lui plaisait. J’ai aperçu trois policiers armés qui longeaient l’étable, ils étaient munis de fusils automatiques et de filets. Un autre, avec une caméra sur l’épaule, suivait derrière. Ils étaient près de l’enclos et le fermier a reçu une sommation. Aussitôt, il a couru comme un dératé en se rhabillant, il est passé par-dessus la barrière en bois en retombant de l’autre côté lourdement, et il s’est enfui vers le lointain. Trois flics se sont lancés à ses trousses ! Le flic qui filmait, après avoir fait un beau panoramique, s’est attardé sur l’intérieur de l’enclos. Ce que je pensais, c’est que les flics allaient disparaître une fois qu’ils seraient hors du champ de vision de Fernanda, mais non, car c’était devenu le rêve du fermier aussi, d’être pourchassé à cause de sa petite fête ! De même, ses porcs et ses femmes étaient restés dans l’enclos, pour le plaisir de Fernanda ! Les femmes ont été arrêtées et conduites dans un fourgon blindé. Bizarre. Je me suis mis à réfléchir.
J’étais capable de faire des distinctions parmi les êtres qui évoluaient sous l’éclipse : Il me semblait voir quatre types différents de personnages. C’était une sorte d’échelle de la conscience, je ne trouve pas les mots : D’abord, il y avait moi, mes amis et les scientifiques, nous nous trouvions en chair et en os sur la colline du Couvrant au moment du cataclysme. La colline était le centre des choses pour ainsi dire, et les trois cents mille personnes qui observaient l’éclipse dans la région n’avaient pas disparu : Cette foule était située au-delà des marécages, en dehors du cercle de la colline du Couvrant et donc on ne les voyait pas ! Ils n’étaient pas touchés comme nous, ils étaient pour la plupart bien éveillés : C’était le cas de Lucien Mars par exemple, qui avait déboulé à la dernière seconde, fusil au poing, pour flinguer son voleur après une course poursuite ! C’était aussi le cas de la population qui se trouvait dans la zone d’ombre de la lune. Je présumais que la région toute entière fut mystique dans un rayon de soixante kilomètres ! Les voitures abandonnées étaient à notre portée mais les gens étaient invisibles et nous n’avions sans doute pas le droit de nous en prendre à des gens sans défense, rendus immobiles ! Mes amis et moi-même étions dédoublés, des genres d’esprits vifs et tourmentés qui devaient bien de temps à autre traverser un touriste sans l’avoir vu ! Ne sachant pas s’il y avait un sens à cette expérience, ne sachant rien, je le répète, nous étions des maladroits ! Bref…
Une autre catégorie de personnages était les gens comme Fernanda ou l’infâme Marcellin Jacques, qui faisaient un songe sous l’éclipse, endormis par elle. Leurs esprits vagabondaient dans cette zone obscure, tandis qu’eux se trouvaient en réalité dans leur propriété respective, en chair et en os, dans le monde naturel que chacun côtoyait tous les jours ! Je comprenais à présent pourquoi Fernanda n’avait pas eu de réaction lors de notre première rencontre à son domicile : Elle aurait dû apprendre à se synchroniser – c’est le mot qui convient le mieux – sur notre vitesse et non le contraire, puisque nous avions mijoté notre coup et qu’elle avait été surprise ! C’est du domaine des rêves que de subir parfois des angoisses terribles ou même, des paralysies.
Surtout, je m’interrogeais sur une catégorie étrange de personnages qui semblait posséder une conscience individuelle : C’était les intervenants, comme la police, le conducteur du bus fantôme, la caissière esseulée du supermarché, les porcs et les femmes dans l’enclos, le chien modulable de Fernanda. Quelque chose, en ce qui concerne les rêveurs profonds tels que Fernanda et le fermier, dépassait la seule volonté et leur pouvoir de commander leurs rêves à leur guise – un rêve n’est-il pas légèrement conscient et fort inconscient ? - Ce qui leur arrivait ne dépendait pas que d’eux-mêmes ! Ma théorie est la suivante : Les « intervenants » autour de ces deux rêveurs représentaient une source d’énergie comme les autres personnages du décor, ils étaient parfaits sur le plan de la ressemblance, ils étaient bien solides et dégageaient même une émotion personnelle : Je pense qu’ils existaient vraiment, eux aussi, dans le quotidien, qu’ils avaient une identité. Après tout, ils étaient comme les autres en apparence dans cette dimension : Composés de particules élémentaires d’énergie et, peut-être, reliés par un « fil d’Ariane » à leur vrai corps quelque part, à des kilomètres, qui sait ? Par exemple, je regardais le commissaire Jean Joël, je le voyais diriger une opération de police un peu mesquine sous mes yeux : Je savais qu’il n’était pas entièrement là, au cœur de la débauche, mais plutôt qu’il devait être en faction dans les rues pleines de monde, un jour comme aujourd’hui ! Ou bien dans son jardin avec sa famille, en train de regarder l’éclipse ; dès lors, j’imaginais que là où le commissaire se trouvait réellement, il se sentait nerveux ou troublé, pour des raisons inexplicables et qui avaient lieu ici-même ! Je ne voyais pas l’énergie circuler comme certains affirment la voir, mais j’avais le fort sentiment que chaque participant dans cette histoire était à la fois unique et rejoignait, par une façon subtile, l’inconscient des deux affreux qui rêvaient ; l’inconscient a souvent le goût du collectif. Mes amis et moi ne subissions pas tout à fait les mêmes effets, nous étions en position de force je crois. Fernanda ne faisait pas de différence entre les types de consciences comme je le faisais, elle suivait son orgueil, vivait son obsession, elle se laissait aller dans son rêve. Le fermier, lui, n’avait pas que ça à foutre que de réfléchir ! C’était Neptune. En plus de ça, je réalisais que d’autres gens, rendus fatigués par l’éclipse, pouvaient être en train de faire un rêve à dix, vingt ou trente kilomètres d’ici. Comme si ça ne suffisait pas, j’avais l’intuition que d’autres personnes essayaient de trouver une place dans ce monde, cachées, encore invisibles ou inactives ! C’est surtout la nouvelle copine de John qui m’intriguait, car John était de ceux qui se trouvaient sur la colline et je me demandais comment il était parvenu à matérialiser la fille de la publicité pour les bottes : Que nous avait-il dit ? Qu’il l’avait emmenée à Beauraing, roulée sous le bras ! Oh, j’oubliais les enfants qu’avait vu Léo ! Encore une belle énigme. Je découvrais en réfléchissant plus loin à quel point notre situation était incroyable et privilégiée : Je comprenais l’opportunité qui s’offrait à moi et à mes amis de nous enrichir si nous le voulions, en déplaçant les bijoux dans des lieux sûrs par exemple ! Et dans les profondeurs de mon être, mon âme souhaitait découvrir un mystère plus grand que tout, tellement grand qu’il serait pur, unique. Plus cristallin et plus unique encore qu’un diamant à mille facettes !
L’inspecteur a dû envoyer tous ses éléments à la poursuite de Marcellin Jacques car deux fourgons ont démarré à toute vitesse et ont filé en direction de la colline. Bien des choses me dépassaient encore : J’ai repensé à la vieille dame au chignon, à ses conseils de prudence : Je ne souhaitais pas faire de mal ou accéder à un quelconque pouvoir, si j’étais revenu me frotter aux électrons de Fernanda et de ses troupes, c’était dans le seul but d’aider Simon à se sauver de là comme lui l’avait fait pour moi, et surtout à cause du sentiment que j’avais qu’il n’était pas à sa place !
Simon était assis dans la camionnette restante et semblait occupé à signer des papiers avec l’inspecteur et l’immonde Fernanda. Simon me donnait l’impression de souffrir, je le voyais nettement aux travers des vitres, comme si je n’étais plus myope tout à coup ! Léo m’a dit qu’on pourrait attirer l’attention de Fernanda et je lui ai répondu :
- C’est trop dangereux ! Elle peut nous envoyer des hélicoptères sur la gueule en moins de deux, est-ce que tu comprends ?
- Oui, a fait Léo en regardant autour de lui, tu as sûrement raison.
Je crois que Fernanda aimait ce monde désert, mais elle s’ennuyait avec Simon – qu’elle ne connaissait pas -, je la voyais soupirer d’énervement depuis que le fermier s’était enfui. C’est peut-être pour cette raison que Simon a été libéré : Deux flics l’ont conduit sur la route. Et pour la troisième fois, un coup de canon a retenti ! Léo a tourné la tête vers le château Renaud, mais moi je savais bien ce que c’était : C’était Lucien Mars qui venait à nouveau de tirer sur Simon ! Une troisième balle était en route et il n’a pas fallu longtemps pour qu’elle atteigne sa cible : Simon est tombé violemment en arrière, à même le macadam. Lucien Mars avait dû s’avancer dans le cimetière cette fois, et tirer à bout portant ! Je regardais au loin l’ébauche de la colline du Couvrant, c’est là-bas que les coups de feu étaient tirés et Simon, déjà touché dans le dos, venait sans doute de recevoir cette ultime balle en pleine tête ! Son double criait par terre devant nous : « Je n’entends plus rien ! Je vais mourir ! » Quelqu’un a dû appeler les secours au moyen de la télépathie parce qu’un instant après, un hélicoptère s’est approché dans le ciel, a fait un tour rapide au-dessus du périmètre et s’est posé sur la grand-route ! Deux hommes sont descendus et ils ont embarqué Simon sur une civière. L’inspecteur est venu demander quelque chose au pilote ; je ne l’aimais pas beaucoup cet inspecteur, il était trop entreprenant. Ensuite, l’hélicoptère a décollé et est reparti, je suppose, en direction de l’hôpital de Paliseul, à douze kilomètres ! Je n’avais plus rien à faire ici. Avec Léo, on a couru à la perpendiculaire de cette route de malheur ! On s’est retrouvé nez à nez avec une rivière magnifique : Nous n’avions pas encore vu de rivière, c’était comme un lent ruissellement de grains de sable et de cristaux lumineux, avec des petites dunes mouvantes. Je n’osais pas y plonger ma main. Léo était comme un enfant, il a enlevé ses chaussures et ses chaussettes. Je lui demandé s’il comptait vraiment tremper ses pieds dans cette matière, et il s’est rechaussé. « C’est de l’eau, après tout ! » Aucun de nous n’a mis même un doigt dans cette rivière ralentie par le temps. Il y avait des fleurs à proximité, finement éclairées par le flux de cristaux lumineux et les horizons rouges. Cet endroit était d’une beauté divine. Mais on ne pouvait pas rester ! On a marché le long de la berge jusqu’à un pont, qu’on a traversé.
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