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dimanche 2 septembre 2007

Le jour de l'éclipse (chapitre 9)

9. Le Temps Passe.

Les jours qui ont suivi, Fred et John sont sortis de l’hôpital, remis de leurs émotions, et c’est alors que le destin s’est fait plus discret : Fred s’est marié deux mois après l’évènement, et sa copine est tombée enceinte. Il se rangeait, je ne le voyais presque plus mais nous restions en bons termes. Quant à John, il était repenti : Son accident lui avait créé plus de peur que de mal, mais il pensait beaucoup à ce maudit diamant qui avait disparu dans le choc, et au fait qu’on pourrait le dénoncer ! Lorsqu’on se voyait, je lui demandais toujours comment il avait fait pour transformer l’affiche publicitaire de la jolie femme, mais je n’obtenais jamais le même récit. L’important, c’est qu’il retrouvait le sourire.
Malgré l’attitude de Léo, qui me demandait de ne plus m’occuper de ce qui était en rapport avec l’éclipse, j’ai entrepris de collecter, avec patience et méthode, toute une série de films amateurs tournés le onze août 99 aux alentours de midi. Petit à petit, j’ai d’abord réuni sur mon ordinateur les films qui étaient passés au journal, le soir même : La sainte Vierge, la place verte dévastée, la résidence Mars et sa monstrueuse flamme, la maison de Fernanda. Grâce à un visiteur, j’ai complété ce film par un autre, tourné au même endroit, et offrant donc deux angles de vue différents de la même scène : Sur cette vidéo, on voyait que le cinéaste s’était attardé sur une grande voiture noire garée devant la maison de Fernanda, pendant la cohue ! On y voyait surtout quatre hommes en costume noir, lunettes noires, sortir de la maison de Fernanda, impeccables, comme si rien n’était en train de se passer autour d’eux, puis la limousine démarrer et foncer vers le rond point ! J’ai aussi gardé le film du château Renaud montrant le dessin en feu des enfants « extra-terrestres », et aussi le film de Valensole où il nous surprend sur la colline !
Bien sûr, j’attendais qu’Elcée se manifeste via Internet ; j’avais agrémenté mon site de la photo prise par Léo, celle de la carrière d’Etain, et le cœur géant dessiné avec des dérapages de voiture ! On pouvait voir aussi des photos de la colline du Couvrant… J’avais dessiné moi-même un fond d’écran sur mon ordinateur, avec des fleurs et des cœurs ; je trouvais cette idée romantique pour attirer l’attention d’Elcée et d’ailleurs, je ne voyais pas d’autre moyen pour se retrouver - mis à part d’attendre la prochaine éclipse dans la région, dans cinq cents ans environ ! –
Le temps passait et la planète continuait à se dégrader.
Un hiver, un printemps. L’année qui suivit, je me souviens que j’ai vraiment passé une journée de merde, c’était un peu avant les vacances scolaires. La matinée, j’avais dû m’occuper de problèmes administratifs – rien d’affolant mais ça m’ennuie -, et les gens m’avaient paru distants dès la première minute où j’avais mis un pied dehors. Il y avait un temps de chien. Dans la maison communale, je me sentais comme un étranger. En sortant de là, un type m’a craché dessus sans l’avoir fait exprès, parce que, soi-disant, j’étais pressé de sortir ! Vers midi, je suis allé manger dans un café où je pensais trouver des amis, mais il n’y avait personne que je connaissais et je n’ai pas fini mon sandwich parce que quelqu’un avait vomi à côté de moi ; en plus, il passait à la radio des informations épouvantables ! Je me suis fait chier l’après-midi, c’est simple, en voulant rendre visite à plusieurs personnes qui n’étaient pas chez elles. J’ai trouvé ça curieux car je n’avais encore croisé personne que je connaissais. Les nuages accéléraient et un orage grondait au loin. Il faisait lourd. Comme si ça ne suffisait pas, je me suis retrouvé dans le bus avec les étudiants qui venaient de terminer leurs examens ! J’ai regardé si Fernanda n’était pas à l’intérieur elle aussi, car c’était devenu ma hantise. J’étais mal à l’aise. Quelqu’un est descendu du bus en même temps que moi. Je me suis hâté sous la pluie mais la silhouette m’a rattrapé près de l’église. Je me suis retourné quand j’ai deviné qui elle était. Je lui ai dit :
- Tu n’es pas à vélo, aujourd’hui ?
- Non…
Il s’agissait bien de l’adolescente que j’avais connue pendant l’éclipse et qui m’avait aidé à regagner la colline et, de ce fait, à me rappeler mon histoire. Elle m’avait aussi arraché au bonheur, à Elcée, à sa féerie, et sans aucune pitié ! Elle était espiègle mais je ne crois pas qu’elle savait ce qu’elle faisait en osant me suivre, pas plus qu’elle ne savait ce qu’elle avait fait voilà un an de ça. Je n’étais pas insensible à ses seins, à son sourire dans la grisaille, après cette interminable journée. Mais ce qui m’a déplu, c’est qu’elle ne m’a pas dit son nom et elle n’a pas cherché à savoir le mien. Il l’intéressait juste que je reconnaisse son existence. Elle s’est vite emmêlé les pinceaux : « Je n’ai pas cherché à te suivre, après tout, je sais que tu n’aurais pas apprécié. » Puis elle m’a dit son nom, en s’excusant : « Je m’appelle Lindsay. » Je lui ai demandé quel âge elle avait, et elle m’a répondu : « Quatorze. » Je lui ai dit :
- Alors, tu avais treize ans l’an dernier ?
- Non, a-t-elle fait en souriant, j’avais déjà quatorze ans, je suis née au mois de juillet !
- Ah…
- Je vais avoir quinze ans le mois prochain. Mais je ne voulais pas qu’on parle de ça. Je ne te demande pas ton âge, moi…
J’arrivais chez moi, la voiture de Léo refroidissait près de la grille. Il n’était pas question que Léo me voie avec cette fille.
- Je dois dire que j’ai visité ton site, tu ne le sais même pas, j’ai trouvé ça extrêmement intéressant !
Je me suis arrêté de marcher et je lui ai dit :
- Tu veux qu’on sorte ensemble, c’est ça ?
Avec une audace folle, elle est venue se coller à moi sans un mot, sans rien savoir de mes sentiments, un peu comme si le doute, c’était l’amour. Elle attendait que je l’embrasse, que la foudre nous emporte. Moi, je ne voulais pas de cette petite chérie et surtout, je pensais que j’allais me retrouver en prison à cause d’elle. Je lui ai dit :
- C’est du détournement de personne majeure, tu le sais ?
Elle a souri, j’ai ajouté :
- Tu dois aussi te rappeler qu’il y avait quelqu’un d’autre ce jour-là où tu m’as baladé en vélo, une grande !
J’ai passé la grille de mon jardin. Elle a dit :
- Bon, Je retourne attendre le bus ! Je savais que ça n’irait pas, je n’avais pas programmé que je te retrouverais et qu’on aurait une discussion.
Comme elle me demandait mon nom, j’ai répondu n’importe quoi, déjà à la moitié du sentier.
Léo fumait une cigarette près de la porte d’entrée. Il m’a demandé, sur le ton d’un fouille-merde, avec qui je parlais et j’ai dit : « Avec une fille qui était dans le bus avec moi. »
- Excuse-moi, tu voulais être seul avec elle peut-être ?
- Oui.
- Tu devrais ouvrir tes rideaux, laisser entrer la lumière.
- Je vais d’abord ouvrir mon courrier, ai-je dit en allumant l’écran de mon ordinateur.
- Je vois que tu poursuis tes recherches ?
- Et toi ?
A cette époque, Léo passait chez moi trois fois par semaine, il était parfaitement au courant de ce que je faisais : Patienter après Elcée n’était pas une tâche qui me prenait du temps, et de toute façon, je pensais de moins en moins à elle. Mais je voulais connaître la vérité moi aussi, même si je risquais d’être victime d’un accident ou de malfaiteurs. Léo, à ma place, aurait fait exactement pareil et d’ailleurs, il était absorbé par l’astrologie et je le voyais chipoter sur Internet : Il réunissait des informations sur ses fameux men in black ! Il s’était fait un nouvel ami, un médium qui allait l’entraîner dans une secte bientôt, si je ne le surveillais pas.
- J’ai appris des choses, a-t-il dit, au sujet de ces hommes en costumes ! Par exemple, qu’ils portent des oreillettes par lesquelles ils reçoivent leurs directives, des ordres indiquant la formation et l’emplacement de « nœuds négatifs ! »
Je ne comprenais rien, mais pour Léo – et ça le rassurait -, ces gens en costumes noirs étaient « les fonctionnaires d’un organisme qui garde un secret trop grand pour les hommes ! » Fin de citation. Je lui fichais la paix.
J’ai ouvert mon courrier, il y avait une enveloppe. Léo se tenait à droite de mon bureau. En cliquant sur l’icône, il m’est apparu la photo d’un bouquet de fleurs !
- Est-ce que tu as vu ça, Léo !
Comme je voulais m’asseoir, mon ordinateur s’est éteint !
- C’est peut-être un virus, fais gaffe.
- Pourquoi un virus ? Tu as vu cette photo ?
- Tu n’as jamais pensé que quelqu’un pourrait te faire une blague ?
- C’était des genêts ! ai-je dit en élevant la voix, tu as bien vu, et je n’ai parlé de ce détail à personne, et même toi – je visais Léo du doigt -, tu ne sais pas quelle sorte de fleurs j’avais cueillies pour Elcée !
- Du calme, je disais simplement que ce n’est pas normal que ton ordinateur s’éteigne comme ça, juste après que tu aies ouvert ton mail. D’habitude, c’est de cette façon qu’on libère un virus.
- Il y a de l’orage dans l’air, tu ne trouves pas ?
L’ordinateur s’est rallumé en même temps que Léo se déplaçait, et j’ai cru que c’était lui qui avait enlevé la prise de courant avec son pied et qui l’avait remise. Quand j’ai rallumé l’ordinateur, j’ai constaté que mon courrier du jour était effacé, et je me suis carrément disputé avec Léo. Je me suis retrouvé seul, j’ai refermé les rideaux et j’ai allumé les lampes halogènes.
Cinq minutes après, j’ai reçu un nouveau courrier ! L’adresse était masquée mais on m’invitait à parler, et même, à utiliser la caméra - si j’en possédais une - J’ai établi une connexion directement, et pendant que je branchais ma camera, j’ai entendu une voix dans les enceintes, je me suis relevé et j’ai eu l’image d’Elcée en même temps qu’elle recevait la mienne. On s’est écrié en chœur : « C’est toi ! » avant que mon ordinateur ne plante à nouveau, tandis que j’entendais le tonnerre derrière moi ! J’ai vu une fumée blanche et épaisse sortir des lecteurs de la machine et je me suis précipité pour retirer la prise de courant. Ensuite, toutes mes lampes se sont éteintes !
J’étais assis par terre, le dos contre le mur, avec pour seuls compagnons mes chats et le bruit de l’orage. Je voulais me rendre compte, par la fenêtre, s’il s’agissait d’une panne de secteur ou si j’étais la cible du mal. Je ne parvenais pas à savoir si c’était une coupure générale et je ne trouvais plus mon portable dans ce climat sombre. Après tant de lumière sur l’écran, tant d’émotion, je réalisais mon infortune. L’électricité ne revenait pas, je me pliais progressivement à l’idée que je ne reverrais sans doute plus jamais Elcée et, je ne sais pour quelle raison stupide, qu’on on ne serait pas heureux ensemble.


FIN


(Melchiades Estrada/Fabrice Gillet.)

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